Évangile : « Jésus appela ceux qu’il voulait pour qu’ils soient avec lui » (Mc 3, 13-19)
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Nous libérer nous aussi
a libération conditionnelle de Michelle Martin provoque des réactions nombreuses et est source de frustrations. N’y aurait-il pas une possibilité de sortir de cette frustration en prenant cet événement et nos réactions à son égard comme une opportunité pour chacun de nous de réfléchir à notre attitude face au mal ? Certaines réactions de l’opinion publique peuvent nous permettre de décoder certains comportements, dont parfois les nôtres.
Cela peut nous aider à considérer que, sans éliminer sa part de pertinence et d’à-propos, la pugnacité à vouloir laisser Michelle Martin derrière les barreaux a peut-être aussi sa part d’obscurité. Voici bien simplement deux pistes pour y réfléchir.
Une première piste de réflexion est à trouver dans notre rapport au mal. Les crimes commis par le couple Dutroux-Martin sont inhumains, et touchent à l’extrémité du mal. On peut cependant s’interroger si cette extrémité-même et l’insistance à la montrer du doigt ne présentent pas l’avantage de nous dispenser de considérer notre propre rapport au mal. Dès lors que je pointe le doigt sur le mal extrême, je peux estimer que mon engagement contre le mal est suffisant et que je n’ai pas à aller plus loin. Mais ai-je assez de lucidité pour regarder le mal qui est aussi tapi chez moi ? Bien sûr ce mal ne détruit pas des vies d’enfants, mais ne les empêche-t-il pas parfois de se développer comme ils pourraient l’espérer, est-ce qu’il ne blesse pas des proches, des collègues ? Est-ce qu’il n’exclut pas, ne blesse pas injustement ? Un des meilleurs remèdes contre le mal est la lucidité. Utilisons-le.
Un deuxième point d’analyse peut être soulevé : n’y a-t-il pas quelque part, elle aussi tapie au milieu de nos motivations explicites, un certain plaisir un peu pervers de laisser continuer l’autre à souffrir ? N’avons-nous pas secrètement espéré que le recours en cassation contre la libération aboutisse et qu’ainsi Michelle Martin continue à souffrir en prison ? N’avons-nous pas parfois un certain plaisir à voir l’autre que nous n’aimons pas, souffrir ou être touché par le malheur ? Citons ici Philippe van Meerbeeck : « Le petit de l’homme est, comme nous l’a montré Freud, un pervers polymorphe, doté d’une cruauté possible, d’une violence intérieure et extérieure illimitée et toute l’éducation par le père et la mère, par la culture ambiante va lui permettre de pouvoir dépasser petit à petit le mal qui est présent autour et en lui » (Dieu est-il inconscient ? p.126). Reconnaissons que nous sommes toujours en phase de dépassement.
Ces réflexions sont posées sous forme d’hypothèse ou de question. Il ne s’agit à aucun moment d’accuser, de juger, de dénoncer mais de proposer un temps de lucidité. Espérons que nous pourrons répondre négativement à ces questions mais ne le faisons pas trop vite.
La disponibilité des Clarisses de Malonne appelle à une dernière prise de recul. Sans vouloir verser dans une leçon d’anthropologie ou de psychanalyse, il est bon de rappeler que l’interdit est structurant pour l’homme. Il y a des choses à ne pas faire sans quoi une humanité ne peut pleinement s’accomplir. Au-delà des interdits traditionnels mis en évidence par la psychanalyse, n’y aurait-il pas un interdit refusant qu’on puisse jamais considérer un être humain comme définitivement perdu ? Ce serait là un signe supplémentaire d’humanité. C’était en tout cas au cœur de l’esprit de Saint François dont se nourrissent les Clarisses de Malonne : « Là où il y a la haine, que je mette l’amour. »
(Patrick Denis, prêtre)
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